« Je suis fatigué. On n’a aucune communication à l’extérieur. Rien ne sort de ce qu’il se passe ici.
Il n’y a pas d’eau chaude dans les douches. Le ballon d’eau n’est pas suffisant pour tout le monde. […] Il n’y a pas de chauffage dans certaines chambres. Mais le commandant s’en fout. On est 250 personnes dans le centre. On est écœuré.
Les gens qui ne sont pas rentrés dans le centre ne savent pas ce qu’il s’y passe.
La police emmène les médias là où ils ont fait des travaux pour montrer aux Français à la télé, à la radio que tout va bien, que l’on est calme, tranquille et qu’ils s’occupent bien de nous. Mais c’est l’inverse… »
(Témoignage d'une personne en attente d’expulsion au centre de rétention administrative de Vincennes, le 15 janvier 2008).
http://quotidiensanspapiers.free.fr/
Aujourd’hui c’est un article particulièrement engagé que je vous livre. Le point de départ est ma participation à une réunion publique autour du thème des expulsions de sans-papiers, mercredi 30 janvier à la maison des associations de Grenoble. Intéressée par cette question mais peu informée, j’ai pu y écouter des militants d’associations, des avocats spécialisés dans le droit des étrangers et des témoignages. J’ai ensuite cherché à confronter ces informations avec des recherches personnelles, notamment sur internet.
Mon sentiment est à présent que l’expression « France, terre d’asile, patrie des droits de l’Homme », n’a plus beaucoup de sens. Certes, la question des étrangers en situation irrégulière n’est pas nouvelle, on se rappelle par exemple de l’occupation de l’église Saint Bernard en 1996.
Cependant, depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy aux fonctions de ministre de l’Intérieur puis de président de la République, la politique d’immigration française s’est considérablement durcie et d’inquiétantes dérives sont aujourd’hui pointées par des associations comme Réseau Education Sans Frontières ou la Ligue des Droits de l’Homme.
Cette politique est clairement assumée, comme en témoigne la création du « ministère de l’immigration et de l’identité nationale », et la mise en place de quotas d’expulsions. Pourtant, l’opinion publique ne semble pas se préoccuper outre mesure de la question. Où est passée la France « black blanc beur » dont on se félicitait après la victoire des Bleus en coupe du monde ? Où sont ceux qui manifestaient entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002 pour barrer la route au Front National ?
N’y a-t-il plus que le pouvoir d’achat et la vie privée du président qui intéresse les français ???!
Je vois quelques raisons possibles à cette « anesthésie générale » de l’opinion :
- Les journaux et télévisions sont particulièrement discrets sur le sujet, ou l’abordent dans la rubrique des faits divers, lors de mouvements de grève de la faim par exemple.
- L’idéologie dominante véhiculée par les autorités présente l’immigration comme une menace qu’il faut endiguer, car elle serait à l’origine d’une partie du chômage, du déficit de l’Etat et des problèmes d’insécurité. Le vocabulaire employé est stigmatisant : les migrants sont appelés « clandestins », leur séjour est dit « illégal »…
A force d’entendre les mêmes propos répétés, ceux-ci se sont banalisés. Le terme même de « sans-papiers » semble occulter que nous parlons avant tout d’êtres humains…
- Les défenseurs de la cause des sans-papiers sont souvent discrédités, qualifiés de « gauchistes », « d’irresponsables ou d’idéalistes n’ayant rien compris à la situation de la France », voire « d’affabulateurs » lorsqu’ils dénoncent des mauvais traitements.
« Liberté, Egalité, Fraternité », ça vous dit quelque chose ?
Il parait que les valeurs républicaines sont à la mode…
Alors permettez-moi de rappeler quelques principes fondamentaux de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, signée par la France en 1948 :
Article 2 : Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
Article 9 : Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé.
Article 13 : Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
Article 14 : Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays.
Article 15 : Tout individu a droit à une nationalité. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité.
Selon l’esprit de ce document, ratifié par 48 pays, la planète terre appartient donc à l’ensemble des êtres vivants qui la composent, qui sont alors libres d’aller et venir, à condition de respecter les règles nécessaires à la vie en communauté.
La question du contrôle de l’immigration ne devrait donc même pas se poser !!!
Hélas, la Déclaration des Droits de l’Homme n’est « qu’un » idéal à atteindre, et ses principes ne sont que partiellement retranscrits dans la Constitution Française.
Aussi, la France, tout comme ses voisins européens, a légiféré à plusieurs reprises pour contrôler l’arrivée et le séjour des étrangers sur son territoire. Suite à la constitution de l’Union Européenne, ce dispositif concerne aujourd’hui les ressortissants des pays hors UE.
Mais au-delà de la question de la régulation des flux migratoires, ce sont les méthodes mises en place par MM. Sarkozy et Hortefeux qui à mon sens interpellent et méritent notre plus grande vigilance aujourd’hui :
- La constitution de fichiers de renseignement
Le fichier « ELOI » (pour éloignement) répertorie les étrangers en situation irrégulière, mais aussi leur famille, les personnes qui les hébergent ou qui leur rendent visite en centre de rétention.
Certains observateurs s’inquiètent également de la création en 2005 de la « base élèves ». Officiellement, ce fichier recense l’ensemble des enfants scolarisés dans le primaire et le secondaire, afin de suivre leur scolarité. Mais il pourrait également contenir des informations sur l’origine ethnique des enfants et leur famille, susceptibles d’être utilisées à d’autres fins.
- La mise en place de quotas d’expulsion, qui augmentent chaque année
15 000 expulsions en 2004, 20 000 en 2005, 25 000 en 2006 et 2007, 28 000 pour 2008…
Les quotas décidés par N. Sarkozy sont devenus des objectifs à atteindre, et pour cela le ministre Hortefeux ne manque pas de convoquer les préfets pour évaluer leurs résultats.
Récemment, des employés de l’ANPE, la Poste, ont dénoncé des pressions qui les incitaient à fournir des informations sur les personnes en situation irrégulière. Il en est de même pour certaines entreprises et agences d’intérim.
Pour décourager les personnes qui souhaiteraient défendre la cause des sans-papiers, l’argument juridique est de plus en plus souvent avancé : « l’aide au séjour irrégulier » est passible de cinq ans de prison et de 30 000 euros d’amende. Pour l’instant les condamnations restent légères, mais cela pourrait évoluer.
Pour exemple, François Auguste, le vice-président de la région Rhône Alpes, a écopé d’une amende de 450 euros pour avoir tenté de s’opposer au décollage d’un avion contenant une femme expulsée avec son enfant. Au moment des faits, il a également été violenté par des policiers puis placé en garde à vue.
L’effet pervers majeur de cette « politique du chiffre » est de tenir de moins en moins compte des situations individuelles. Ainsi se voient expulsées des personnes qui pouvaient parfaitement prétendre à une régularisation (résidence depuis plusieurs années sur le territoire, maitrise du français, emploi en CDI, enfants scolarisés, intégration sociale, absence d’antécédents judiciaires…). Le résultat : des familles séparées, des parcours brisés.
- Le retour des rafles policières
Rafle : arrestation en masse faite à l’improviste par la police (dictionnaire Larousse).
Même si ce terme est associé aux heures les plus sombres de l’Histoire, il semble qu’il soit approprié pour désigner ces importants dispositifs policiers intervenant à des endroits stratégiques (métro, gares…) et réalisant des contrôles d’identité au faciès, de manière tout à fait arbitraire.
Depuis les nouvelles lois de 2006 et 2007, la police peut désormais procéder à des arrestations en tous lieux, jusque dans les écoles, les hôpitaux et les blocs opératoires.
Des témoignages font même état d’arrestations d’enfants au sein de leurs classes.
Sur ce point, n’est-il pas inadmissible d’infliger pareille violence psychologique à des mineurs et à leurs camarades, d’autant plus qu’en faisant intervenir la police on laisse sous-entendre que l’étranger est dangereux…
L’école n’a-t-elle pas justement pour mission d’apprendre à vivre ensemble et lutter contre la xénophobie ?
Saluons donc les actions des directeurs d’écoles, enseignants et parents d’élèves qui se mobilisent. Malheureusement, ils ne sont pas souvent entendus.
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Les enfermements en centre de rétention
Pour rappel, la rétention administrative est autorisée depuis 1981 (loi Bonnet et Peyrefitte).
Elle consiste à placer les personnes en attente d’expulsion dans des locaux qui « ne relèvent pas de l’administration pénitentiaire ».
A l’origine, la durée maximum de rétention était fixée à 7 puis 12 jours. En 2003, N. Sarkozy a fait voter une loi pour l'allonger à 32 jours, et en 2008, un projet de directive européenne propose de la porter à 6 mois !
Il existe aujourd’hui 24 centres de rétention pour un total de 1443 places (Source : CIMADE), auxquels il faut ajouter 150 locaux de rétention administrative.
Depuis 2005, la loi autorise l’enfermement des familles et même des enfants en bas âge.
Les conditions de séjour à l’intérieur des CRA sont difficiles à évaluer, en raison du peu d’informations qui filtrent, et du nombre limité d’intervenants autorisés à y entrer. Néanmoins, les témoignages se multiplient pour décrire un univers carcéral, dans lequel les conditions de promiscuité, de confort et d’hygiène sont incompatibles avec la dignité de personnes qui n’ont pas commis d’autre crime que de vouloir séjourner sur le territoire français.
Il semblerait que les violences physiques et psychologiques (insultes, privation de sommeil…) y soient régulières de même que le recours aux médicaments psychotropes...
En guise de conclusion, je vous invite à lire quelques témoignages parmi les liens suivants. Je vous remercie d’avoir pris le temps de lire cet article, et espère vous avoir donné envie d’en savoir davantage.
Lynette
TEMOIGNAGES
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Sur le site de l’association « Réseau Education Sans Frontières » :
http://www.educationsansfrontieres.org/?rubrique331
Blog : « A l’école des sans-papiers »
http://sanspapiers.blogs.liberation.fr/sans_papiers/2007/10/arrestation-dun.html
Journal : « le quotidien des sans-papiers »
http://quotidiensanspapiers.free.fr/
INFORMATIONS PLUS GENERALES
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GISTI : groupe d’information et de soutien des immigrés, spécialisé dans le droit des étrangers
http://www.gisti.org/index.php
CIMADE : accompagnement des migrants et demandeurs d’asile
http://www.cimade.org/
Rapport d’Amnesty International sur la France pour l’année 2006
http://thereport.amnesty.org/fra/Regions/Europe-and-Central-Asia/France