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25 janvier 2008 5 25 /01 /janvier /2008 12:47



Il avait peine à cacher sa jubilation lorsqu’il l’a annoncé au parterre de journalistes présents à l’Elysée en ce 8 janvier 2008 : ce sera une « révolution sans précédent » dans le secteur de l’audiovisuel…

« La suppression totale de la publicité sur les chaines publiques ». Baoum !!  Personne ou presque ne s’y attendait, à commencer par  les premiers censés être concernés et concertés. 
(NDLR : ce mot a-t-il encore un sens ?)

C’est donc un « drôle » de comble pour Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, et Patrick de Carolis, PDG du groupe d'information qu’est France Télévisions…
Mais au-delà de la mise à mal des sensibilités personnelles se posent pas mal de questions.


carolis.jpg Patrick de Carolis,actuel PDG de France Télévisions, 
  en position délicate 
  (source : Le Figaro.fr)










Pour justifier sa décision, N. Sarkozy affirme, je cite, que le service public audiovisuel ne doit pas « fonctionner selon des critères purement mercantiles », mais de « qualité », sa « vocation étant d’offrir au plus grand nombre un accès à la culture ». Il demande donc par la même occasion « que le cahier des charges de la télévision publique soit revu, profondément. »

Il sous-entend donc que les programmes de France Télévisions ne sont pas de qualité suffisante…
Probablement ne sont-ils pas idéaux, (et en même temps, l’ambition de satisfaire l’ensemble des téléspectateurs est illusoire !), mais  rappelons quand même que les chaines publiques ont au moins le mérite de ne pas diffuser d’émissions de télé-réalité. Et aussi qu’elles proposent régulièrement des créations originales (« l’affaire Ben Barka » cette semaine, les adaptations de Maupassant il y a quelques mois), sans oublier le théâtre et la danse sur Arte. 

Alors peut être peut-on faire mieux ? Mais n’est-ce pas aussi un prétexte visant à rendre acceptable des ambitions qui le sont moins ?

Donner un bon coup de pouce à la concurrence, TF1 en tête…

Un signe qui ne trompe pas, le cours de l’action TF1 a immédiatement augmenté de 10% ! 
Et pour cause, les annonceurs qui achetaient des espaces publicitaires sur France Télévisions vont reporter leurs investissements, d’un montant annuel de 850 millions d’euros. Il semblerait que les chaines privées soient les premières bénéficiaires de cette « manne », mais d’autres médias (presse écrite, téléphonie mobile, internet) pourraient également en profiter.

Compte tenu des affinités affichées du président Sarkozy avec plusieurs grands patrons de l’audiovisuel (Martin Bouygues, Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère), la coïncidence n’est pas anodine, et la belle étrenne en ce début janvier difficile à cacher.

A ce stade, je suis tristement effarée de la quasi absence de contestation de la part des autres médias, de l’opposition politique et de l’opinion publique. 

Lors de son discours d’investiture, N. Sarkozy se réclamait le « président de tous les français ».
Aujourd’hui, il prend une décision unilatérale, sans concertation, pour servir les intérêts de ses puissants amis ? L’heure est préoccupante, car la déontologie présidentielle, la hauteur que nécessite la fonction pour servir l’intérêt général n’existe plus.

Mais ce n’est pas tout...

Que va-t-il advenir de France Télévisions ?

N. Sarkozy assure lors de la même conférence de presse que le manque à gagner sera compensé par la taxation des recettes publicitaires des chaines privées, et du chiffre d’affaires de nouveaux moyens de communication, téléphonie mobile et internet en tête. Le financement des chaines publiques serait donc conservé sans pour autant augmenter la redevance…

Oui, mais le « hic », c’est que la création de nouvelles taxes est soumise à l’agrément de la commission de Bruxelles, et qu’il n’est pas certain que celle-ci accepte (la tendance européenne actuelle étant plutôt en faveur d’une libre concurrence et d’une baisse de la pression fiscale, notamment sur les entreprises).

Le président ne peut ignorer cette éventualité, pourtant, à l’heure où j’écris, la décision semble bel et bien entérinée, et sera appliquée au 1er janvier 2009.

D’autre part, en supposant que les fameuses taxes soient mises en place, peuvent-elles rapporter 850 millions d’euros ? 

Et si tel était le cas, les dirigeants des chaines privées et des nouveaux médias « joueront-ils le jeu » ? Ne seront-ils pas tentés de trouver des méthodes de contournement pour payer moins de taxes, surtout si celles-ci visent à financer des chaines de télévision qui restent des concurrents ?!

Si les taxes se révélaient insuffisantes, deux possibilités s’offriraient alors :

-          Augmenter la redevance : ce serait une mesure particulièrement impopulaire qui alourdirait encore davantage le budget des foyers les plus modestes. C’est donc peu probable.

-          Privatiser les chaines publiques : on se dirigerait donc vers la fin du service public audiovisuel.

 
C’est là le fond de ma pensée : pour moi, N. Sarkozy supprime l’autonomie financière du groupe France Télévisions, afin de l’« asphyxier » à petit feu.

En effet, dans cette nouvelle configuration, France Télévisions devient DEPENDANTE de FONDS PUBLICS (la redevance et les taxes étant collectées et redistribuées par l’Etat). 
Donc d’une certaine manière, du pouvoir politique en place !!!

Pour mettre « toutes les chances de leur côté »et continuer à exister, les dirigeants de France Télévisions ne seront-ils pas tentés de se conformer aux désidératas du président en termes de ligne éditoriale et de traitement de l’information ?

Et là je fais le lien avec la formule de N. Sarkozy : « je souhaite que le cahier des charges de la télévision publique soit revu, profondément. » Qu’entend-il par là ? 
Souhaite-il réellement l’amélioration de la qualité des programmes, ou bien que ceux-ci soient davantage mis au service de sa personne ?



Et si France Télévisions dérangeait ?

Alors que TF1 ou M6 ont pris un virage néo-libéral prononcé (cf. les nombreux sujets déclinés par l’émission Capital sur les nouveaux riches et les destinations de rêve), France Télévisions ne faisait-elle pas un peu figure de « résistant » ?

Attention, sans aller dire que les chaines publiques font partie de l’opposition, je voulais simplement souligner que certaines émissions pratiquent encore le débat et le journalisme d’investigation, même si les heures de diffusion sont parfois tardives : quelques exemples :

-       Complément d’enquête a consacré en décembre une émission sur les conditions de détention des sans papiers en attente de reconduite à la frontière. Les journalistes ont donné la parole aux associations mais aussi à Philippe Marini, député UMP à l’origine de l’amendement sur les tests ADN.

 

-       Infra Rouge a récemment diffusé un documentaire argumenté sur la Russie de Vladimir Poutine, les assassinats de journalistes et les enjeux stratégiques liés au commerce du pétrole et du gaz, à l’heure même ou le président Sarkozy adressait ses félicitations au président russe pour la victoire éclatante de son parti aux élections législatives.

   -          C dans l’air est une émission quotidienne de débat politique sur France 5, animée par Yves Calvi. Critiquée par certains, appréciée par d’autres, elle reste une émission bien préparée et sérieuse, à la différence de bien des talks shows tape à l’œil et racoleurs.

Peut être cet espace médiatique échappant encore aux impératifs des sociétés cotées en bourse, ce potentiel vecteur de liberté d’expression dérange t’il, voire devient insoutenable pour notre « hyperprésident » ?

En 2007, France 5 avait supprimé l’émission « arrêt sur images », officiellement dans le but de renouveler ses programmes. Officieusement, il semble que des pressions aient été exercées, l’émission portant un regard critique sur la télévision et les méthodes employées pour mettre en valeur ou désavantager une information, une personne… Une des clés maitresses du système Sarkozy !

 

Pour conclure, l’annonce de la suppression de la publicité sur les chaines publiques me parait particulièrement inquiétante pour l’avenir du PAF, dans le contexte où les grands médias privés sont idéologiquement proches du pouvoir en place.

Pour moi, la volonté d’améliorer la qualité des programmes est un écran de fumée cachant d’autres intérêts bien plus stratégiques. Je crains un recul de la liberté d’expression et à terme la désinformation de masse, peut-être cela a-t-il déjà commencé. (j'en suis en fait assez convaincue...)

Enfin, ayons une pensée pour les salariés de la régie publicitaire de France Télévisions, 300 personnes au total, qui ont vu leur emploi remis en question du jour au lendemain. Souhaitons-leur de nouvelles perspectives professionnelles. 

Au fait, au cas où, dans le secteur de la santé on cherche du monde…

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