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22 juin 2008 7 22 /06 /juin /2008 17:27




Ce n'est probablement pas un hasard si aussi peu d'ouvrages traitent des rapports humains entre professionnels de santé à l’hôpital.

C'est dommage, car d'un point de vue sociologique, le milieu hospitalier est un cas "intéressant", tant sa culture, ses codes, ses traditions influent sur son fonctionnement.

Lorsque j’étais en dernière année d’école d’infirmière, je souhaitais réaliser mon mémoire de fin d'études sur ce thème. Mes formatrices me l'ont clairement déconseillé, au risque de me « faire descendre » par le jury au moment de la soutenance...

Il y a des sujets comme ça qui fachent…
La science progresse plus vite que les mentalités.


Pourtant, regarder certaines réalités en face pourrait faire évoluer en bien la qualité des soins et l'ambiance de travail dans les services.

Les propos qui suivent n'engagent que moi, ils sont le fruit de mon ressenti et de mon expérience, ils ne s'appuient sur aucune étude / thèse / enquête, il est d'ailleurs bien difficile d'en trouver.
Par ailleurs, amis lecteurs, si vous souhaitez réagir, votre point de vue m'intéresse.



L’hopital, la "planète des Bisounours" ?
Ou Dallas ?!


Vu de loin, on pourrait penser que des personnes qui ont choisi de soigner ont des valeurs en commun : respect, altruisme, empathie, solidarité...

Attentifs les uns envers les autres, professionnels de la relation, les soignants seraient-ils des collègues de travail idéaux ?

Revenons sur Terre ! A l'hosto, comme dans le reste de la société (et au pays de Candy), il y a des gentils, des méchants, des hypocrites, des tire-au-flanc, des pervers et des bonnes poires...

On peut peut être trouver un début d'explication dans la motivation qui pousse chacun à exercer la profession de soignant. 

-          Pour certains, porter la blouse blanche (qui est un uniforme) permet d'acquérir un statut social valorisant, voire de s'identifier à un objet de fantasme collectif (le médecin, l'infirmière...).

-          D'autres personnes ont besoin de se sentir "utiles" à la société, elles cherchent une place.

Le désir inconscient de "réparation" est fréquent. La personne cherche en fait à compenser une situation d'impuissance culpabilisante vécue au cours de l'enfance (parent malade par ex)

Ces deux types de motivation donnent lieu à des comportements différents dans la manière d’être en relation avec les patients et les collègues de travail.

Dans le premier cas, le soignant cherche à être reconnu comme une personne "importante", mais peut également être attiré par l'acquisition d'un certain pouvoir. Le symbole de la blouse blanche lui donne la légitimité pour le faire.

Dans le second cas, la personne cherche la reconnaissance à travers ce qu'elle accomplit pour les autres. Elle peut avoir le sentiment de payer une « dette », et donne souvent plus qu’elle ne reçoit.
Généralement, ce sont des professionnels motivés, consciencieux, mais sensibles à la critique et sujets à l'épuisement professionnel.

Ces mêmes personnes risquent alors de se trouver en difficulté face aux soignants recherchant la relation de pouvoir, qui pourront tenter de les dominer voire de les instrumentaliser.

Pardonnez moi cette vision un peu caricaturale, il est vrai. Néanmoins, je trouve qu'elle permet de comprendre un certain nombre de conflits entre membres d'une même équipe.

Je me permets une petite hypothèse : et si ces deux types de comportement avaient une même origine, à savoir le manque de confiance en soi ?

 

Le poids des traditions religieuses…


"De toutes manières, infirmière, c’est une vocation…"

Combien de fois ai-je entendu cette phrase dans la bouche de mes proches, ou des patients.
Sous entendu : « ah la la ! elles ont du mérite, les pauvres ! ».

Personnellement, j’ai cette vision en horreur ! Parce qu’infirmier est un métier, dont les compétences sont fixées par la loi. Nous ne sommes ni des bénévoles, ni des bo-bonnes corvéables à merci.
De plus, cette sorte de pitié mal placée à la sincérité parfois douteuse me met assez mal à l'aise.

Contrairement à certains préceptes religieux (et notamment judéo-chrétiens), il n’est dans l’intérêt de personne de se sacrifier pour les autres. Car pour bien soigner les patients, il faut avant tout être bien dans sa peau, ce qui implique de prendre soin de soi et cultiver sa vie personnelle.
 

Mais dans la réalité, ce n'est pas si simple. Car dans l'intérêt "suprême" des patients, il est communément admis que l’infirmier revienne au pied levé sur ses jours de repos pour remplacer un collègue malade, il est inconcevable qu’il fasse grève « pour de vrai », et noter les heures supplémentaires relève parfois de l'outrage envers la hiérarchie
(ah le fameux « si vous êtes en retard, c’est qu’il faut revoir votre organisation, mademoiselle ! »).

Rappelons que les dernières cornettes ont disparu seulement dans les années 70 en France, et que des religieuses continuent à assurer les soins infirmiers dans des pays proches de nous comme l'Espagne.

Si je peux me permettre une petite analyse, je dirais que les vieux principes religieux de « don de soi » servent à merveille la logique financière des hôpitaux d’aujourd’hui : 


Des équipes qui travaillent avec moins d’effectifs pour le même nombre de patients, et qui font en sorte de maintenir la qualité des soins par respect pour les personnes soignées, que demander de plus ?!

 

Une organisation sociale en « castes ».



Un peu comme dans la société indienne, le personnel hospitalier est divisé en sous-groupes, avec une notion de hiérarchie très présente selon le métier exercé. Aussi, plus que la personnalité des gens, c’est la fonction qui définit les rapports humains, avec une frontière importante entre le médical et le para-médical.

L'organigramme d'un service de soins dans un CHU pourrait se résumer ainsi :

 

Professions médicales                                               Professions paramédicales


Médecins séniors et assistants                                     

Cadre infirmier (surveillant)

Internes

Infirmiers, kiné, diététicien

Externes            

Aides soignants                              

Agents de service hospitaliers                 


 

Lorsqu’on n'est pas familiarisé avec le « milieu », on a vite fait de commettre des impairs, et d'affronter des réactions hostiles dont on ne comprend pas l’origine ! 

En effet, les relations hiérarchiques reposent largement sur un mode autorité / soumission.


Aussi, même s'il pense avoir raison, un soignant ne remettra pas en cause une décision d'une personne mieux placée que lui dans la hiérarchie (en tout cas pas devant lui !).

Tout au plus, le désaccord pourra s'exprimer par une interrogation, du type "ne penses-tu pas que l’on pourrait éventuellement envisager…".

De même, on aura tendance à dire, pour parler d'un chirurgien odieux, qu’il a un "contact particulier".
C’est une question de terminologie, de diplomatie, de protocole… toutefois indispensable pour être intégré dans le « système ».

Certes, le respect de la hiérarchie est également présent dans les entreprises privées.
La spécificité hospitalière, c’est peut être l'influence du statut hiérarchique dans les relations de tous les jours, les maladresses éventuelles pouvant rapidement prendre la forme de « crimes de lèse majesté »…



Une petite anecdote de quand j’étais étudiante... Alors que je participais à la "visite" avec l'interne et mon infirmière référente, j'ai constaté que celle-ci avait oublié de transmettre une information concernant un patient. J’ai donc pris l’initiative de compléter ses propos… Malheur à moi ! Elle m’a rétorqué que je n’avais pas à parler au médecin, encore moins lui dire ce qu’il avait à faire ! Elle s’est ensuite empressée de me faire une « réputation » auprès de l’équipe, disant que je ne savais pas rester à ma place d’étudiante.



Le difficile statut des étudiants


Le nombre de blogs tenus par des étudiants paramédicaux est révélateur !
Un an pour les aides-soignants, trois ans et demi pour les infirmiers, 50% de la formation assurée par les stages... Et parfois un sacré parcours du combattant !
 



La première "qualité" de l'étudiant est sa capacité à prendre sur lui et garder le sourire en toutes circonstances...

Le premier jour de chaque stage, il supportera la même petite phrase : "eh allez, encore un élève !"

Il s'habituera à ce que l’on ne fasse pas l’effort de retenir son prénom, et fera preuve d’abnégation pour réaliser différentes tâches ingrates (et peu formatrices en général), telles qu'aller porter les prélèvements au laboratoire, récupérer des médicaments à la pharmacie, brancarder les patients en examen, quand ce n’est pas tout simplement répondre aux sonnettes et nettoyer le matériel...


Il semblerait que les frustrations éprouvées par les professionnels de santé se reportent en partie sur les « maillons faibles » de la chaine… (les étudiants ayant la pression de l'évaluation en fin de stage).

Cette situation n’est pas sans conséquences : démotivation des étudiants, auto-dépréciation, voire abandon des études, ou reproduction des mêmes schémas persécuteurs par la suite…

C'est un peu dommage lorsque l’on connait la crise des vocations en ce moment.

Ce n’est qu’en fin de formation, lorsqu’il est capable « d’abattre une part de boulot », que l'étudiant acquiert une certaine reconnaissance professionnelle. Lorsqu’il obtient son diplôme, c’est la consécration ! Il devient instantanément un interlocuteur digne de ce nom, ce qui lui fait "tout bizarre"...! 


Néanmoins, en tant que jeune diplômé, il devra faire ses preuves quelques temps encore pour gagner la confiance des "anciens"...

Bienvenue dans la "boutique" !




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Un document intéressant publié en 2001 par le Conseil supérieur de la fonction publique hospitalière : "violence à l'hopital, observer pour mieux prévenir", pages 10 à 24

http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/pub_hosp/num21.pdf


Illustrations
: merci aux Shadoks, ça n'a pas pris une ride !
Plus de dessins sur : http://www.lesshadoks.com/

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commentaires

C
Article très original !
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A
La sante n a pas de prix
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T
The hospital id the place where everyone will have visited at least once. This is the place where the science and the religion rule the mind of the people. I believe in both and that is the reason I do not argue.
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S
Bonjour,<br /> <br /> Je viens de tomber sur votre blog et je le trouve très pertinent. Je suis enseignante dans la section bachelier en soins infirmiers. Je donne cours de psychologie et je cherchais des exemples<br /> illustrant les approches psychologiques dans le métier d'infirmier. Je vous écris ce petit mot pour savoir si je peux utiliser votre analyse de l'institution afin de développer l'approche<br /> systémique. Vous avez vraiment bien décrit ce qui se passe, je pense (avec mon oeil externe de psy et en me souvenant de tout ce que les étudiants me racontent!).<br /> Il est évident que les sources seront mentionnées et que je compte utiliser votre article dans le cadre d'un cours uniquement.<br /> <br /> Merci d'avance de votre réponse, j'espère qu'elle sera positive.<br /> Merci aussi pour votre initiative.<br /> <br /> Sibylle
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L
<br /> <br /> Bonjour ! Je vous remercie de votre commentaire, mais tient cependant à vous mettre en garde : j'ai écrit cet article uniquement à partir de mes vécus, de mes ressentis, il n'est étayé par<br /> aucune référence bibliographique ! (J'ai cherché, il y a bien peu d'écrits sur ce sujet !) Mais sinon, pas de problème, vous pouvez faire référence au blog. Amicalement. L.<br /> <br /> <br /> <br />
U
Excellent !! J'ai moi même voulu traiter de ce sujet pour mon mémoire, mais comme pour toi, on me l'a déconseillé..! C'est vrai que le but c'est quand même d'obtenir le DE à la fin, donc autant<br /> éviter de se faire lyncher ^^ Mais il y a beaucoup de vérité là dedans. Personnellement j'ai décidé de fuir tout ça et je projette d'aller bosser à domicile !<br /> Lorsque j'étais pompier volontaire je m'attendais aux mêmes choses que toi : altruisme, gentillesse, etc... La réalité : un gros tas de bourrins qui aime jouer les gros bras et qui font des<br /> concours de kekettes toutes la journée. J'imaginais que les infirmieres seraient plus subitles, mais c'est le même bateau : l'infirmière en réa forcément meilleur que celle de gériatrie par<br /> exemple... Ca me saoule ces guerre d'ego ! Le plus important c'est d'etre heureux dans ce qu'on fait. Alors en ce qui me concerne, j'évite toutes ces débilités, et j'men vais bosser en solo ^^
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